Introduction à létude de la médecine expérimentale | Page 3

Claude Bernard
l'erreur
toutes les fois que les notions ou les faits sur lesquels il s'appuie seront
primitivement entachés d'erreur ou d'inexactitude. C'est pourquoi
l'expérimentation, ou l'art d'obtenir des expériences rigoureuses et bien
déterminées, est la base pratique et en quelque sorte la partie exécutive
de la méthode expérimentale appliquée à la médecine. Si l'on veut
constituer les sciences biologiques et étudier avec fruit les phénomènes
si complexes qui se passent chez les êtres vivants, soit à l'état
physiologique, soit à l'état pathologique, il faut avant tout poser les
principes de l'expérimentation et ensuite les appliquer à la physiologie,
à la pathologie et à la thérapeutique. L'expérimentation est
incontestablement plus difficile en médecine que dans aucune autre
science; mais par cela même, elle ne fut jamais dans aucune plus
nécessaire et plus indispensable. Plus une science est complexe, plus il
importe, en effet, d'en établir une bonne critique expérimentale, afin
d'obtenir des faits comparables et exempts de causes d'erreur. C'est
aujourd'hui, suivant nous, ce qui importe le plus pour les progrès de la
médecine.
Pour être digne de ce nom, l'expérimentateur doit être à la fois
théoricien et praticien. S'il doit posséder d'une manière complète l'art
d'instituer les faits d'expérience, qui sont les matériaux de la science, il
doit aussi se rendre compte clairement des principes scientifiques qui
dirigent notre raisonnement au milieu de l'étude expérimentale si variée
des phénomènes de la nature. Il serait impossible de séparer ces deux

choses: la tête et la main. Une main habile sans la tête qui la dirige est
un instrument aveugle; la tête sans la main qui réalise reste
impuissante.
Les principes de la médecine expérimentale seront développés dans
notre ouvrage au triple point de vue de la physiologie, de la pathologie
et de la thérapeutique. Mais, avant d'entrer dans les considérations
générales et dans les descriptions spéciales des procédés opératoires,
propres à chacune de ces divisions, je crois utile de donner, dans cette
introduction, quelques développements relatifs à la partie théorique ou
philosophique de la méthode dont le livre, au fond, ne sera que la partie
pratique.
Les idées que nous allons exposer ici n'ont certainement rien de
nouveau; la méthode expérimentale et l'expérimentation sont depuis
longtemps introduites dans les sciences physico-chimiques qui leur
doivent tout leur éclat. À diverses époques, des hommes éminents ont
traité les questions de méthode dans les sciences; et de nos jours, M.
Chevreul développe dans tous ses ouvrages des considérations
très-importantes sur la philosophie des sciences expérimentales. Après
cela, nous ne saurions donc avoir aucune prétention philosophique.
Notre unique but est et a toujours été de contribuer à faire pénétrer les
principes bien connus de la méthode expérimentale dans les sciences
médicales. C'est pourquoi nous allons ici résumer ces principes, en
indiquant particulièrement les précautions qu'il convient de garder dans
leur application, à raison de la complexité toute spéciale des
phénomènes de la vie. Nous envisagerons ces difficultés d'abord dans
l'emploi du raisonnement expérimental et ensuite dans la pratique de
l'expérimentation.

PREMIÈRE PARTIE
DU RAISONNEMENT EXPÉRIMENTAL.

CHAPITRE PREMIER DE L'OBSERVATION ET DE

L'EXPÉRIENCE.
L'homme ne peut observer les phénomènes qui l'entourent que dans des
limites très-restreintes; le plus grand nombre échappe naturellement à
ses sens, et l'observation simple ne lui suffit pas. Pour étendre ses
connaissances, il a dû amplifier, à l'aide d'appareils spéciaux, la
puissance de ces organes, en même temps qu'il s'est armé d'instruments
divers qui lui ont servi à pénétrer dans l'intérieur des corps pour les
décomposer et en étudier les parties cachées. Il y a ainsi une gradation
nécessaire à établir entre les divers procédés d'investigation ou de
recherches qui peuvent être simples ou complexes: les premiers
s'adressent aux objets les plus faciles à examiner et pour lesquels nos
sens suffisent; les seconds, à l'aide de moyens variés, rendent
accessibles à notre observation des objets ou des phénomènes qui sans
cela nous seraient toujours demeurés inconnus, parce que dans l'état
naturel ils sont hors de notre portée. L'investigation, tantôt simple,
tantôt armée et perfection née, est donc destinée à nous faire découvrir
et constater les phénomènes plus ou moins cachés qui nous entourent.
Mais l'homme ne se borne pas à voir; il pense et veut connaître la
signification des phénomènes dont l'observation lui a révélé l'existence.
Pour cela il raisonne, compare les faits, les interroge, et, par les
réponses qu'il en tire, les contrôle les uns par les autres. C'est ce genre
de contrôle, au moyen du raisonnement et des faits, qui constitue, à
proprement parler, l'expérience, et c'est le seul procédé que nous ayons
pour nous instruire sur la nature des choses qui sont en dehors de nous.
Dans le sens philosophique, l'observation montre et l'expérience instruit.
Cette première distinction va nous servir de point de départ pour
examiner les définitions diverses qui ont été données de l'observation et
de l'expérience par
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